Un artiste parisien méconnu : Pierre-Antoine Demachy

Démolition de l’hôtel du Petit-Bourbon devant la colonnade du Louvre (vers 1760 – Musée Carnavalet)

17 septembre 1723, Paris – (rue Jean Lantier, paroisse Saint-Germain l’Auxerrois) – 10 septembre 1807, Paris (quai de la Mégisserie).

Du 15 février au 18 mai 2014, le musée Lambinet de Versailles lui consacra la seule rétrospective connue à ce jour : Le témoin méconnu, P.A. Demachy. Le catalogue (même titre) sous la direction de Françoise Roussel-Leriche et Marie Petkowska-Leroux (Editions Magellan/Musée Lambinet, 2014) le présente ainsi : « Avant tout peintre d'architecture et de perspective, il trouva dans la représentation urbaine le moyen fort plaisant d'exercer son talent ; sa formation de scénographe le distingue des autres peintres de vues parisiennes. Dans son œuvre, peu de représentations sont réellement topographiques. En effet, il ajoute toujours un élément imaginaire, transformant ainsi la ville en une scène de théâtre dont les Parisiens deviennent les acteurs. »

Certes Chauffourier et Clérisseau furent d’excellents représentants de ce genre. Mais ce fut avec Demachy qu’il prit toute sa place dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Alors évoquons l’histoire et les fondements.

A l’instar de Nicolas Raguenet, Charles-Léopold Grevenbroeck et H. Robert, Demachy fut un admirable peintre (dessinateur) de Ruines, (bâtiments de style antique plus ou moins effondrés où se promènent de petits personnages ; Ruines animées), Vues urbaines, Caprices architecturaux, Monuments. Beaucoup concernèrent Paris, en particulier, le palais du Louvre. 
Ces tableaux peuvent être considérés comme un témoignage historique, donnant l'occasion de montrer la vie quotidienne dans les rues parisiennes. La majeure partie de son œuvre est conservée au musée Carnavalet. D’autres œuvres sont : au Louvre, à Versailles (Lambinet) et aux musées des beaux-arts de Rouen, Tours, Dole, Carcassonne.

Il excella dans la peinture dite topographique, en y adjoignant ses talents de scénographe. Certes aujourd’hui nous avons la photographie, et il est vrai, que ces tableaux font penser à de belles photos. Mais, outre le côté figé de l’image, il sut merveilleusement, à l’instar de tous les védutistes, donner, une animation, une âme à ses toiles.
De même, ses toiles furent aussi un témoignage de type socio-culturel. Demachy raconte par le truchement de la toile, les transformations de Paris à cette époque où l'on construit l'Hôtel de la Monnaie et l'École militaire, où l'on dégage la vue sur la colonnade du Louvre. En pareil cas, il mit en scène les nouveaux bâtiments en compagnie de pseudo-ruines, celles des édifices en cours de destruction, notamment des arcades d'églises gothiques.

Et l’on découvre que bien avant les aménagements du baron Haussmann, on détruisit beaucoup à Paris, non par goût, mais pour pallier à des inconvénients dus à une certaine usure ou vétusté des bâtiments et pour faire coïncider la capitale avec le faste du siècle. De fait, Demachy fut le témoin pictural de cinquante années de rénovation urbaine. 
Ses tableaux sont précis, descriptifs et montrent les embarras qui en résultent, la curiosité des passants, la vie qui continue… Encore plus intéressantes sont les vues de Paris, surtout celles de la Seine ou de la place Louis XV (de La Concorde). Non seulement on y voit des monuments disparus ou toujours existants comme l’Hôtel de la Marine, mais l’œil est attiré par une vie foisonnante. Le long du fleuve on aperçoit les lavandières, le linge étendu sur les quais, les chevaux ou les vaches se rafraîchissant dans l’eau, les bateliers en plein travail.

L’artiste y apporte une touche intimiste : on y voit des chiens vaquant à leurs occupations, des badauds contemplant le fleuve, une foule de curieux guettant l’arrivée du carrosse royal à Paris pour fêter la naissance du Dauphin. Sous nos yeux la capitale s’anime, vit, travaille, s’abandonne aux loisirs, se révolte…Et c’est dans l’illustration de cette urbanité, par bien des côtés, pas si éloignée de notre univers contemporain, que Demachy séduit, et nous semble être un précurseur dans cet art si particulier de « saisir l’instantané » pivot du travail photographique, que porteront au sommet ; Nadar, Louis Daguerre, Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau, Raymond Depardon.
Il fut le fils d'Antoine Demachy, menuisier. Quant à sa parenté, il fut l’arrière-grand-oncle du banquier Charles-Adolphe Demachy (1818-1888), l’arrière-arrière-grand-oncle du photographe Robert Demachy (1859-1936) et le beau-père du général Pierre-Augustin Hulin.

Il acquit les premiers rudiments de dessin auprès de son oncle paternel, maître menuisier, dit « Architecte ». Fait assez rare, il ne fit pas le voyage de Rome, et demeura à Paris, dans le quartier du Louvre. En 1754, il fut l'élève de Niccolo Servandoni. Ce grand peintre d’architecture non seulement lui apprit l’art de Jean-Paul Panini, mais lui fournit l’essentiel des rudiments nécessaires pour exceller dans ce genre.

Aucun historien ne peut établir avec certitude s’il fit le classique voyage de Rome ; et s’il se maria avec Louise Guest (décédée en 1799), dont il eut un fils Gilles-Pierre (1761-1801), et une fille Louise-Valérie (décédée en 1804). 
Le 29 novembre 1755, il fut agréé à l'Académie royale, comme « peintre d’architecture ». En 1757, il exposa pour la première fois au salon, avec trois tableaux représentant des Ruines d’architecture, appartenant à M. de Gagny. 

Sont-ce celles-ci qu’il présenta à l’Académie royale ? Toujours est-il qu’il fut reçu le 30 septembre 1758, avec des Ruines d’architecture, tableau connu sous le titre de Temple en ruine (Louvre). Sa maîtrise est déjà évidente, avec un savant jeu d’ombre et de lumière, un bel effet de soleil et une savante architecture d’ordre corinthien, où l’on remarque de beaux effets de perspective. Toutefois, dès cette toile, il manifeste ce qui figurera dans toutes ses compositions : les statues, les bas-reliefs, les sculptures et surtout les personnages sont minuscules et paraissent anecdotiques.
Quant à sa carrière académique : Le 25 novembre 1775, il fut élu conseiller en remplacement de Drouais, décédé. À la mort de Jean-Sébastien Leclerc, titulaire du poste, il fut nommé le 1er avril 1786, professeur de perspective, et prit en charge de nombreux élèves, comme Valenciennes ou Louis Moreau l’aîné. Il fut confirmé à ce poste le 12 juillet 1796. 
Il exposa au Salon de 1759 : L’Intérieur d’un temple ; Quatre dessins à Gouasse (expression de l’époque), représentant le Péristyle du Louvre et les démolitions du Garde-Meuble et des écuries de la Reine. 
En 1760, il s'illustra dans la réalisation de décors scéniques pour le théâtre, au collège Louis le Grand, puis à l'Opéra dans les décors de Dardanus de Rameau notamment, spécialité qu'il n'abandonna jamais.
En 1761 : L’Intérieur de la nouvelle église de Sainte-Geneviève ; à nouveau, L’Intérieur d’un temple et des Ruines d’architecture. 
En 1762, il représenta L’incendie de la Foire de Saint-Germain . Le peintre nous montre le feu qui éclaire les alentours, notamment l’église Saint-Sulpice, le reflet blafard de la lune s’opposant au rougeoiement du brasier, intensifiant ainsi l’effet dramatique. Les secours s’affairent et la disposition des personnages accentue l’impression d’agitation.

Au Salon de 1781, il représenta à nouveau cet événement avec Les Ruines de la Foire Saint-Germain après l’incendie. C’est une parfaite veduta, où il allie le narratif à la qualité chromatique en retraçant admirablement la catastrophe. Le brasero au premier plan témoigne du caractère dramatique et de son actualité. La pierre blonde de l’édifice est parfaitement rendue grâce aux variations des jaunes. La belle lumière de la partie gauche fait un contraste saisissant avec la partie droite où les bruns (presque des noirs) dominent.

En 1763 : L’Intérieur de l’église projetée pour la paroisse de la Magdeleine  ; le Péristyle du Louvre (du côté de la rue Fromenteau) ; deux tableaux représentant les Ruines de la foire Saint-Germain ; la Statue équestre de Louis XV (au moment où on la descend de son piédestal) ; à nouveau, trois tableaux de Ruines d’architecture.

En 1765, il présenta la Cérémonie de la première pierre de l’église Sainte-Géneviève posée par Louis XV, le 6 septembre 1764. (Carnavalet). Cela lui valut d’être nommé peintre d’architecture des décors de théâtre aux Menus-Plaisirs du roi. Il figure ici le bel édifice initial (édifié au lieu et place de l’ancienne abbaye Sainte-Geneviève), de style néo-classique avec son frontispice et ses six grandes colonnades, avant que ne lui soit adjoint, derrière le Panthéon actuel (construit peu après sur les plans de Soufflot. Le souverain est accompagné du dauphin, de l'abbé de Sainte-Geneviève, du marquis de Marigny, de Soufflot, qui lui présente son projet.

Le ciel lumineux et les architectures aux tons délicats font ressortir les coloris des figures qui animent la composition. Le peintre n'a omis aucun détail, des tribunes dressées pour les officiels et les invités de marque, aux tailleurs de pierre vêtus de blanc, debout sur les soubassements. 
Il présenta également un tableau (sans doute réalisé en 1764 ; précédé d’esquisses), le dégagement de la Colonnade du Louvre  (Carnavalet). 

Demachy fixa sur près de quarante années ce sujet, qui lui tint à cœur ; presque un quart de sa production fut consacré au Louvre. Ainsi, il réalisa une Vue de fantaisie de la colonnade du Louvre ; les vestiges de l’Hôtel des Postes (démoli en 1757) ; le Collège des Quatre-Nations ; les Maisons du quai Malaquais. 

Dans son caprice architectural, Vue de l’Abreuvoir du quai Conti avec une partie du Pont-Neuf (Salon de 1775), il réunit dans cette variation sur le, thème de la colonnade, divers éléments architecturaux épars de la capitale, utilisant le motif piranésien de l’arche pour parfaire le tableau. Au premier plan, l’Abreuvoir, des pêcheurs, des baleiniers, s’affairant sous l’œil attentif des badauds. 
Le thème de la colonnade fut à nouveau repris en 1773 : la Colonnade avec ses environs et dans le fond, une partie de l’extérieur du collège des Quatre-Nations ; en 1781 : Vue avec les anciens monuments de François 1er et du Garde-Meuble) ; en 1783 : Vue d’une partie de la colonnade avec les démolitions de l’ancien Hôtel de Rouillé) ; en 1791 : Magasins d’estampes dans les guichets de la colonnade ; en 1793 : la colonnade ornée de figures, avec un point de vue depuis la rue d’Angiviller) ; et 1795 : Démolition des maisons du cloître Saint-Germain avec une partie de la colonnade ; enfin en 1798, : Une partie de la colonnade avec la démolition des maisons du cloître Saint-Germain.  

Son credo stylistique fut toujours le même : il mêla le réel et l’imaginaire, transformant la ville en une scène de théâtre. Il joua sur les ombres pour obtenir des effets de lumière. Il reproduisit souvent le motif de l’arche, intégra des volutes de poussière témoignant de la démolition en cours, y fit figurer de nombreux petits personnages pour mieux encore accentuer la grandiloquence de l’architecture.

En 1767, il présenta cinq tableaux : le Péristyle du Louvre et la démolition de l’Hôtel de Rouillé ; Cette vue est remarquable par son organisation architecturale. Dans un coloris crayeux, le majestueux édifice à droite du tableau et au milieu, le péristyle avec ces trois arcades, devant comme une sorte de propylées. Le peintre figure à gauche quatre personnages et un chien, à droite, deux chevaux s’abreuvant et une lavandière étendant son linge. Le tout dans des tons mi-sombres, mi-éclairés. Le Portail de Saint-Eustache et la nouvelle Halle ; l’Intérieur de la nouvelle église de la Magdeleine de la Ville-l ’Évêque. 

L’histoire du Palais-Royal intéressa vivement Demachy qui lui consacra de nombreuses compositions. En effet, elle fut riche en événements. Richelieu fit de magnifiques aménagements (le Palais-Cardinal) et l’habita avant de le léguer à sa mort en 1642, à Louis XIII. La Reine-mère, et régente Anne d’Autriche vint l’habiter avec le petit Louis XIV et Philippe d’Orléans (Monsieur). 

La famille royale ayant déménagé au Louvre, après la Fronde, ce fut Henriette de France (fille d’Henri IV) qui l’occupa. Il fut ensuite la résidence de Monsieur mariée à la princesse Palatine, puis du Régent (1715), où de belles fêtes y furent données. Son fils Louis 1er dit « le Pieux » lui succéda et enfin, à sa mort, il revint à son fils, Louis-Philippe 1er,dit « le Gros » qui le fit remanier par Pierre Contant d’Ivry (1698-1777). L’incendie de la salle du théâtre (opéra) du Palais, survenue le 6 avril 1763, entraîna de profondes modifications que Demachy restitua dans ses compositions, notamment, Le Vestibule nouveau du Palais-Royal ; la Démolition de l’ancien vestibule ; l’Escalier monumental.

En 1771, un Caprice architectural avec le château de Clagny  à Versailles (musée Lambinet). Demachy représente un avant-corps flanqué des ailes, le portique supporté par des colonnes, trois niches avec des sculptures. Au centre trône sur un socle, une statue identifiée comme celle de la Flore Farnèse, du Jardin du Roi. Il y même comme souvent réel et imaginaire et s’inscrit dans la tradition des védutistes. Il réalisa trois autres compositions avec le même thème en 1773 (avec en plus, une Ruine du vestibule du château) ; et en 1775, les Ruines du vieux château. En 1785, Ruines de l’ancien château.

En 1773, une Vue du dessous du nouveau passage du Louvre (du côté du quai) ; Monseigneur le Dauphin (Louis XVI) et Madame la Dauphine (Marie-Antoinette) aux Tuileries, sur le Pont-Tournant le 23 juin 1773, dont Bachaumont dira : « le costume y est montré avec la plus grande exactitude. Point de confusion même dans cette foule immense, dont la scène est enrichie. Le premier plan est parfaitement dessiné et l'ordonnance des diverses parties du tableau, annonce un artiste maître de son dessein, qui a bien conçu l'ensemble et les parties. » 

En 1777, une composition d’un grand intérêt : L’Hôtel de la Monnaie  et la Seine, vus de la pointe de l’île de la Cité (Carnavalet). Édifié dans le dernier style à la mode (architecture inspirée de l’antique), offrant une façade austère en accord avec la dignité de l’institution, Demachy décrivit avec soin le bâtiment, resplendissant de sa blancheur initiale, dominant la Seine qui coule entre ses vieux palais. Il n’oublie pas les nombreux personnages qui forment l’animation pittoresque des quais de la Seine, où se retrouvent les palefreniers, les pêcheurs, les lavandières, au milieu des chevaux et des chiens. Il maîtrise remarquablement les contrastes de lumière avec un ciel nuageux avec la blancheur de l’édifice qui se reflète dans la Seine.

De cette période jusqu’à la Révolution, il réalisa un grand nombre de compositions, dont le détail serait fastidieux à énumérer. Donnons les principales regroupées par thèmes, sachant que beaucoup si elles furent signées ne furent pas datées.

Ruines animées : une Vue de ruines, prise à la lumière de fin d’après-midi où il réunit ses caractéristiques stylistiques. Le paysage imaginaire dans lequel il installe son décor comporte au premier plan un bel édifice dans les tons bistre, devant lequel s’animent des personnages ; au deuxième plan, fondu dans un x ciel jaune, un autre édifice aux tons grisâtres, installé sur une sorte de promontoire.

Dans une autre vue (pas de titre), de fort belle qualité, il associe le Colisée, les vestiges des thermes de Caracalla et un temple en ruines dont l’arche sert d’écrin. Sur la gauche, on reconnait l’Hercule Farnèse, au repos tenant dans son dos, les pommes d’or des Hespérides. A droite dans les niches, probablement la Vénus Médicis de Praxitèle, le Doryphore de Polyclète, le Discobole de Myron.
Dans d’autres ruines animées, toutes les qualités de l’artiste apparaissent : opposition entre la lumière froide du matin et celle chaude du crépuscule ; effet miroir des portiques ; association de ruines imaginaires avec un paysage fictif ; introduction dans la toile, de sculptures antiques (comme celles-ci-dessus, Minerve, Athéna Pallas ; figure allégorique d’un dieu-fleuve surmontant un abreuvoir.

Caprices architecturaux – Vues de Paris (et de ses environs)
Demachy fut le témoin privilégié de l’évolution urbaine de la capitale. Il fixa sur la toile le sentiment d’urgence face à la fuite du temps et à la fragilité de toutes choses, rejoignant ainsi les préoccupations d’Horace Walpole, et du Rousseau des Rêveries du promeneur solitaire, qui s’exclama à la vue des beautés de la nature : « Je voudrais que cet instant durât toujours ». Demachy l’aura exaucé, car il immortalisa avec ses tableaux, ce Paris de la 2e moitié du siècle, qui connut une importante urbanisation, liée à une rénovation architecturale au goût de l’époque, et qui sont pour nous aujourd’hui des témoignages irremplaçables.

En même temps qu’un autre grand historiographe de Paris, Louis-Sébastien Mercier , il nous livre des documents d’époque, en même temps, qu’il fut le chroniqueur de son temps. Il ne fixe pas le monument, comme s’il appuyait sur le bouton d’un appareil-photo, mais en artiste, il nous livre sa vision avec un talent de scénographe. Peu de vues sont réellement topographiques, elles sont scénarisées, en ce sens, où à la réalité, il ajoute des éléments imaginaires. En définitive, sans lui, il est plus d’un monument parisien dont nous ne pourrions, nous faire la moindre idée. 

Le Garde-Meuble lui inspira trois tableaux. Ce fut sous Henri IV qu’apparut une administration chargée de la gestion du mobilier royal, officiellement confiée à un intendant des meubles de la Couronne en 1604. Sous Louis XIV, le Garde-Meuble fut remodelé à l’initiative de Colbert, qui entreprit de réorganiser la Maison du Roi. Une mission de long terme s’affirma à travers la conservation des pièces rares, telles que les tapisseries, les collections d’objets d’art et les pièces d’ébénisterie les plus précieuses. Le Garde-Meuble dédoubla ainsi sa vocation à mettre en scène la gloire du roi. Du temps de Demachy, les intendants généraux (directeurs) furent : Pierre-Elisabeth de Fontanieu (1767-1784) et Thierry de Ville-d’Avray (1784-1792). 

Le Garde-Meuble fut installé à l'hôtel du Petit Bourbon jusqu'en 1758, puis déplacé à l'hôtel de Conti (1758-1768), puis à l'hôtel des Ambassadeurs extraordinaires, aujourd'hui Palais de l'Élysée, avant de s'installer en 1772 dans un bâtiment spécialement construit, par Jacques-Ange Gabriel et installé place Louis XV (aujourd'hui l'hôtel de la Marine, place de la Concorde).

Le Garde-Meuble royal - Vue de fantaisie. Demachy le baigne dans une lumière crépusculaire pour mieux faire sortir l’harmonie. Il figure l’espace scénique par un pan d’arc supporté par une colonne ionique et dispose quelques Antiques. L’effet d’opposition d’un ciel bleu-gris et du soleil (jaune) couchant accentue l’atmosphère de poésie de l’ensemble.

Vue de fantaisie du Garde-Meuble royal. Ici, il nous présente la façade avec ses neuf colonnes, et fait figurer les trophées qui encadrent les frontons des pavillons d’angle. Tout comme la précédente vue, il parvient à rendre admirablement les effets de lumière.

Vue du Garde-Meuble, place Louis XV et des Chevaux de Marly. Le bâtiment est cette fois-ci plus développé ; aux neuf colonnes du précédent, viennent s’ajouter à droite et à gauche, deux adjonctions de trois colonnes, et l’édifice n’est plus blanc, mais beige. Devant, figure la statue de Louis XV et en face, les Chevaux (réalisés par Guillaume Coustou), nous permettent de penser que la composition fut réalisée entre août 1794 et septembre 1795, dans la mesure où cette sculpture échappa au saccage de la Révolution grâce à David en 1794. Demachy dispose devant le bâtiment nombre de petits personnages, des équipages et pose au-dessus, un impressionnant ciel noir d’orage. 

Le Salon de 1781 fut prolifique en expositions : Vue de la Galerie du Louvre et le Port Saint-Nicolas ; Vue de Paris prise sur le Pont de l’Hôtel-Dieu (le Pont au double) ; Vue avec le Pont Rouge, le Port au Bled et une partie de l’île Saint-Louis ; Vue intérieure du Dôme des Invalides prise par la Porte des Champs ; Vue de la nouvelle École de Chirurgie ; Vue de l’ancien Portique du Louvre et des anciennes cuisines du Palais Royal ; Vestiges de l’ancien Hôtel de Condé ; Vue de l’ancienne entrée de la Conciergerie du Palais.
Rotonde imaginaire avec la statue de Louis XIV (inaugurée en 1686) de Desjardins (de son vrai nom Martin Von Den Bogaert, 1637-1694). Typique de sa manière, cette toile associe sous un ciel nuageux, des architectures fictives de style romain, tel le péristyle, l’arche en plein-cintre et la statue pédestre. Afin de mieux magnifier le roi, il fixe une lumière intense sur la statue, encore plus éclatante sous la lumière bleue du ciel. Il y intègre toujours ses mêmes personnages, de petites proportions afin de mieux marquer la monumentalité de la composition. 

Vue du parc de Saint-Cloud. Témoin de son temps, Demachy signifie ici, que ce passe-temps quasi culturel de la promenade devint essentiel en ce temps. La Vue semble prise depuis les bois « de la Félicité » ainsi nommés, en raison du pavillon réédifié en 1786, par Richard Mique pour Marie-Antoinette. Le parc du château fut alors réputé pour l’esplanade appelée la « balustrade » d’où l’on a une vue magnifique sur Paris. Demachy entoure les plans d’eau de larges frondaisons qui donnent à l’ensemble un bel effet de clair-obscur, alors que l’esplanade est baignée d’une chaude lumière. 
En ce temps, la Seine fut une artère centrale de la capitale, où s’y exerçait un commerce fluvial (transport de bois, de charbon, de foin, de denrées). On comptait plus d’une vingtaine de ports (de la Grève, Saint-Nicolas, Saint-Paul, notamment), et de nombreux ponts, dont le Pont-neuf. 

Vue de la Seine prise du Pont-Neuf. Cette vue de 1783, présente d’un côté, la colonnade du Louvre, et de l’autre l’Hôtel de la monnaie. Ici il déploie tout son art, avec la finesse du trait, une exécution minutieuse, un coloris harmonieux, un ciel parfaitement dégradé, une perspective panoramique et une grande maitrise des ombres et des lumières.

Vue du Port Saint-Paul. De gauche à droite, nous voyons, le couvent des Célestins, , le pont de Gramont, l’île Louviers avec ses bois flottés, de grande hauteur, et dans tout le panorama, des bateaux, des personnages affairés. 

Caprice architectural avec un temple à rotonde (musée de Rouen). Sa composition équilibrée réserve une place prépondérante à l’architecture. Son temple allie le motif de la coupole de style romain, auquel, il adjoint un péristyle contemporain à colonnes doriques et balustres surmontés de statues, et la vue dite « dissotto » (d’en dessous) en accentue la majesté. La lumière de fin d’après-midi donne à l’ensemble une agréable douceur chromatique, jouant sur le contraste des nuages et des effets d’ombre.

Troupeau dans les ruines avec le Panthéon (Musée de Rouen). On retrouve ici, le leitmotiv piranésien, à savoir la vue dessous l’arche, dont il se fit sûrement une idée à travers les documents. S’inspirant du Panthéon de Rome, érigé par l’empereur Hadrien entre 118 et 125, il y figure un magnifique portique avec six colonnes

Le Palais-Bourbon . Le peintre Thomas Compigni (italien, il francisa son nom en Compigné) en fit une vue panoramique. L’intérêt de celle de Demachy est plutôt de nous montrer l’activité fluviale sur la Seine, où l’on distingue le port aux pierres de Saint-Leu et le port aux marbres, des bateaux-lavoirs, et des bateaux abritant des bains publics. Dans le lointain, le village de Vaugirard.
Édifices religieux

Le Sermon à l’Église Saint-Roch ou le Capucin prêchant. Cette église remonte au tout début du XVIe siècle, en 1653, Louis XIV posa la première pierre de celle actuelle. Des travaux d’embellissement furent entrepris grâce au financier John Law. Jules-Robert de Cotte commença en 1736 le portail, et l’église fut consacrée le 10 juillet 1740. Ce vaste édifice fut le plus prisé par les Parisiens du temps. Quant aux Capucins, du temps de Demachy, il y en eut deux : le père Marcel de Paris et Jean-Baptiste de Bouillon, auteur de l’Esprit de sacrifice de la messe (Paris, Guillot, 1784).

Vue intérieure de l’église Saint-Symphorien de Montreuil à Versailles  (Carnavalet). Demachy nous montre son architecture intérieure : érigée sur un plan basilical (reprenant celui de Jean-François Chalgrin, à Saint-Philippe-du-Roule), elle comprend une nef et deux bas-côtés. Des colonnes d’ordre dorique cannelées soutiennent l’entablement, la voûte à caissons est percée de fenêtres à pénétration. A la fois en prière, à l’arrêt ou déambulant, un certain nombre de personnages.

Vue intérieure de la chapelle des catéchismes (annexe de la cathédrale) à l’église Saint-Louis de Versailles. Elle fut aussi appelée, chapelle « du charnier », parce qu'elle fut destinée à recevoir les corps des défunts décédés au château. Elle prit ensuite le nom de chapelle de la Providence, du nom de l’association religieuse qui y siégea en 1826.
Sur les plans de Trouard, on éleva en 1764, ce petit édifice. Pour exécuter son tableau, Demachy se place à l’entrée de la nef, les douze colonnes d’ordre ionique, délimitent le chœur et coupent la chapelle en deux parties, permettant selon les principes requis de séparer les filles et les garçons. Les colonnes supportent un entablement à modillons, ainsi que la coupole à caissons. On identifie les médaillons d’Augustin Pajou représentant trois apôtres. Une délicate harmonie chromatique gris-ocre, ponctuée par les notations bleues des vêtements confère à l’ensemble une atmosphère de recueillement.

La fin de l’Ancien Régime et la Révolution (mais aussi l’Empire) entreprirent la démolition d’un certain nombre d’églises. Pour le premier, ce fut un manque d’argent pour l’entretien, mais surtout le fait que le clergé fut imbu de classicisme et méprisèrent les « vestiges du gothique » (cf – abbé Laugier, Observations sur l’architecture, 1765). Pour la seconde, bien évidemment une farouche opposition anticléricale, un esprit plus rationnel et athée, mais surtout le moyen d’utiliser ces édifices pour d’autres besoins : financiers (ventes comme biens nationaux), économiques (transformation en services publics, par exemple, après l’expulsion des religieuses, le 29 août 1792, Sainte-Élisabeth devint un magasin de farine), culturels (Saint-Gervais devint un « Temple de la Jeunesse »). Enfin, en face de la vétusté de certaines églises, on préféra la démolition plutôt que la restauration.

Demachy, ne manqua pas alors de restituer ces disparitions. Il en respecta l’aspect intérieur, et tout comme à son habitude, ses architectures de très grande qualité furent aussi des compositions lui permettant d’associer des éléments existants, avec le fruit de son imagination.
En 1775, il exposa au Salon, Les Ruines de l’Église des Bernardins derrière la nouvelle place aux Veaux (construite en 1338 par le pape Benoît XII, ancien élève et professeur du Collège des Bernardins, dont il ne reste aujourd’hui que la sacristie rattachée au Collège du même nom). 
Mais ce fut vers la toute fin du siècle, qu’il composa ses Vues relatives aux démolitions, les plus connues. Au Salon de 1777, une Vue relative à la Démolition de l’Église Saint-Sauveur, rue Saint-
Denis. Bâtie au début du XIIIe siècle, réaménagée en 1713, sérieusement ébranlée par la démolition de la tour attenante, elle dut être également démolie. Son plafond fut l’œuvre de Noël-Nicolas Coypel.

Au Salon de 1787, il exposa, La Démolition de l’église des Saints-Innocents  (Carnavalet). Demachy montre l’avancement du chantier : l’abside principale est pratiquement détruite, la nef ne comporte plus qu’un pan de mur. La chapelle de la Vierge subsiste encore. Au-delà des bâtiments en cours de destruction, se trouve la Fontaine des innocents (élevée par Pierre Lescot et décoré par Jean Goujon) que Quatremère de Quincy sauva et fit transporter en mars 1788 à son emplacement actuel.

Démolition de l’église Saint-Jean-en-Grève (Carnavalet). Paroisse de l’Hôtel de ville et du quartier de la Grèce en 1212, elle fut reconstruite en 1326 ; le décret de février 1791 la supprima. Malgré la démolition avancée Demachy nous montre les éléments d’architecture encore en place : grandes arcades élevées, triforium, hautes fenêtres ; à côté la façade de l’église Saint-Gervais, paroisse dont dépendait Saint-Jean-de-Grève. Les rayons obliques du soleil entrant par la nef béante augmentent l’effet de clair-obscur, donnant à l’ensemble une certaine solennité.

Démolition du couvent des Cordeliers (Carnavalet). De l’ancienne institution franciscaine du temps de Saint-Louis, de la grande église, et du couvent (dont la démolition fut décidée en 1799, pour des raisons d’aménagement urbain) Demachy nous montre ce qu’il en reste : quatre arcades de la nef appuyées sur des piliers à chapiteaux ornés de moulures, un plafond, avec son assemblage d’arcs en bois, un sol jonché de poutres, d’énormes pierres équarries. 

Autres compositions
Inauguration de la statue de Louis XV, place Louis XV (devenue place de la Concorde), le 19 février 1763 (Carnavalet). Il s’agit d’immortaliser la pose de la statue du roi sur son piédestal (œuvre de Jean-François-Chalgrin), orné de bas-reliefs et décorés à chaque angle, d’une statue de bronze évoquant les vertus du roi, la Force, la Prudence, la Justice et la Paix. On voit dans le fond, la machine de Lherbette, maître charpentier à Saint-Denis, et au centre, la statue qu’une foule bigarrée et anonyme entoure. 

En lien avec cette place, il donna au Salon de 1785, une somptueuse composition où ce n’est pas la colonnade ou la place, qui nous émerveillent, mais la grande bâtisse de M. de la Reynière, illuminée par un soleil éclatant, devant laquelle, figurent des personnages, à pied où à cheval, et au-dessus, le ballon des frères Robert.

De même, la place est l’élément central d’une Vue : Feu d’artifice et illuminations de la place Louis XV, à l’occasion de la naissance du duc de Normandie (Louis-Charles de France, 1785- 1795, second fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette, connu comme le fameux Louis XVII).
L’arrivée de la Reine (Marie-Antoinette) à l’Hôtel de Ville, le 21 janvier 1782 – Fête donnée pour la naissance du Dauphin (Louis Joseph Xavier François de France, 22 octobre 1781 – 4 juin 1789 ; Carnavalet). La Reine, la nourrice et l’enfant se dirigent vers l’Hôtel de Ville. Cette composition nous montre sur une terrasse installée place de Grève, quatre fontaines de lumière, une foule nombreuse à laquelle des dragées et des pièces d’argent sont jetées. Pierre-Louis Moreau-Desproux  a déposé le feu sacré, flamme immortelle symbolisant la pérennité de la royauté. Coiffant le Parnasse, un temple d’amour illuminé par le soleil.
Le 5 juin 1783, les frères Montgolfier, survolèrent la région d’Annonay à bord de leur aérostat, dont la vogue fut extraordinaire. Demachy immortalise un autre événement, avec la Vue de la place Louis XV et des Tuileries à l’instant du départ en ballon de MM. (frères) Robert et (Collin) Hullin, le 19 septembre 1784 (Salon de 1785 ; Carnavalet). Les frères Anne-Jean Robert (1758–1820) et Nicolas-Louis Robert (1760–1820), ingénieurs et aérostiers, construisirent avec le professeur Jacques Charles, le premier ballon à gaz d'hydrogène qui vola depuis le centre de Paris le 27 août 1783. Le vol de 1784 alla jusqu’à Beuvry (près de Béthune), soit 186 km et dura 6h 40m.

Vente publique de tableaux probablement à l’Hôtel Bullion (vers 1785, Carnavalet). Dans une grande salle, au fond, quatre colonnes, au centre deux crieurs se promènent sur une grande table, tout autour, des tableaux accrochés au mur ; et toute une foule d’amateurs. La scène est vivante, chacun semble absorbé par ce qui s’y déroule.

En 1787, sortant assez exceptionnellement de son cadre parisien, afin d’honorer une commande voulue par le maire de Tours, Benoît de La Grandière pour l’offrir au ministre Calonne, et avec l’intermédiaire de l’amiral Charles-Henri, comte d’Estaing, gouverneur de Touraine, il réalisa une Vue panoramique de Tours (musée des beaux-arts, Tours). Le prodige vient de ce que sans se déplacer à Tours, il réussit une magnifique composition. Le panorama est exceptionnel ; il donne une impression de profondeur grâce à la perspective. La Loire et ses rives prennent une grande place, le ciel remplit la moitié du tableau. Au centre, le nouveau pont construit de 1765 à 1778, fait pendant au vieux pont d’Eudes, ruiné. Conformément aux vœux de ses commanditaires, il représente les monuments emblématiques (l’Hôtel-Dieu, la cathédrale Saint-Martin, la tour Saint-Saturnin, les Cordeliers, etc.), met en scène toute les rénovations urbanistiques, et toute une activité économique : bateaux chargés, attelages de chevaux tirant de lourds fardiers, travail des mariniers, charretiers, tonneliers, etc.

En 1792, avec d’autres artistes, il reçut commande de tableaux « d’encouragement ». En 1793 et 1794, il fut nommé membre de commission ou scrutateur de la Commune générale des arts qui remplaça l’Académie royale.

 Révolution ne changea ni son état d’esprit, ni son style (il continua dans son genre de prédilection). Durant les années de cette période, il peignit de nombreux tableaux, sans pour autant se faire (comme David) l’apôtre du nouveau régime, mais bien plus, pour une fois encore, être le témoin de certains événements, d’autant que ce fut l’époque vouée à la célébration de nombreuses fêtes en lien avec les idéaux de la Révolution.
14 juillet 1790, Fête de la Fédération au Champ-de-Mars (Carnavalet) ; 11 juillet 1791, Translation des cendres de Voltaire au Panthéon ; 10 août 1793, Fête de l’Unité de la République ; 8 juin 1794, Fête de l’Être Suprême, au Champ-de-Mars (Carnavalet). 

Galerie photos (wikipedia)

La Foire Saint-Germain après l’incendie du 17 mars 1762 (vers 1762 – Carnavalet)

Le Ruines du vieux château de Clagny.

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